Courte étape de
mise en forme en compagnie d’ Ivan et de Sophie, un jeune
couple suisse rencontré la veille, avec qui nous découvrons
avoir des connaissances communes. Ils habitent Sierre, dans le
Valais, connaissent les Béatitudes de Ventones, et leur
berger, Jean-Marie Baptiste. Ils m’initient aux balisages des
chemins de randonnée et en particulier du GR65 qu’ils suivent
depuis Le Puy. Nous ne resterons ensemble que jusqu’à la
montée à Roncevaux, nous retrouverons beaucoup plus tard un
matin dans un bar du Camino frances
alors qu’ils étaient bloqués tous les deux par une tendinite (mais ils avaient gardé un moral d’acier) et nous nous retrouverons ... à St. Jacques, où nous sommes arrivés le même jour. Ce sera une grande joie pour tous les 3, d’autant que ni l’un ni l’autre ne s’y attendaient. Un des multiples cadeaux de St. Jacques. Dès le début de cette première étape pédestre, j’ai l’idée d’offrir chaque journée de marche à quelqu’un. Je commencerai par mon épouse, mes enfants, puis mes soeurs, les familles de mes soeurs, quelques amis. Très vite je m’apercevrai que je dois grouper, n’ayant pas assez de jours de marche à offrir. Je terminerai la dernière journée de marche par notre pape.
Pension dans un gîte rural sympathique et très accueillant, ferme aménagée pour les pèlerins. Visite, pour meubler l’après midi, de Saint Palais, en plein pays basque.
C’est là que se rejoignent les 3 grands chemins qui traversent la France, Tours, Vézelay et Le Puy pour former le chemin navarrais. Un peu avant Ostabat, le GR 65 est tellement mal indiqué (nombreux sont ceux qui, arrivés à Ostabat ont connu la même mésaventure) que nous le perdons et nous retrouvons dans les ornières et les ronces. Nous finissons par arriver, mais après des émotions et de la marche difficile dans des fondrières. Gîte bien aménagé pour les pèlerins, confortable et de prix modique.
Conseil m’avait été donné de continuer après St.-Jean Pied de Port et de faire étape au gîte rural Hunto où une auberge pour pèlerins a été récemment installée, au début de la grande montée vers Roncevaux, sur la route Napoléon, réduisant ainsi de 4 km. l’étape très dure de cette montée. Gîte tout neuf et d’une grande propreté.
Cuisant échec qui m’a contraint à l’abandon momentané. Au fur et à mesure de la montée en altitude, la pluie et surtout le vent prennent une violence inouïe. Il faut se pencher de façon incroyable pour pouvoir avancer dans la tempête.Tout à coup, je réalise que ma cape de pluie est entrain de partir en morceaux. Impossible de s’abriter, c’est le désert. Et la tempête ne faiblit pas. Je n’ai bientôt plus aucun vêtement de pluie, mon étui de cartes a été arraché, mes chaussures sont pleines d’eau, même ma coquille St. Jacques a été arrachée. Je suis trempé jusqu’au slip, sac à dos compris et étant sans protection contre la pluie et peu couvert, je sens que je me refroidis à grande vitesse. Le sommet est encore loin.
La rage au coeur, je décide d’abandonner la continuation de l’étape, solution la plus sage. Je fais du stop grelottant comme cela ne m’était jamais arrivé pour redescendre au gîte où j’ai passé la nuit, me réchauffer, faire sécher toutes mes affaires et réaliser que j’étais très mal équipé contre la pluie et contre le froid qui allait faire son apparition avant mon arrivée à Santiago. Il me manque un vêtement correct et collant au corps (blouson ou veste mais pas de cape) une housse imperméable pour mon sac à dos et des chaussures imperméabilisées. Je lance un SOS à ma soeur qui habite près de Bayonne et elle vient me chercher à St.Jean Pied de Port le lendemain matin.
Première découverte de ce chemin que j’allais suivre pendant presque deux mois, je ne savais pas encore exactement, car il y avait quand même 670 km à parcourir. Je prendrai très vite le rythme de partir le plus tôt possible le matin, compatible avec le lever du jour qui, du fait de la saison et de la marche vers l’ouest, sera de 7 h. au début et plus de 8h.1/2 à la fin. Ensuite petit déjeuner dans un bar dès que possible, mais ce ne sera souvent guère avant 10 h. le déjeuner de midi se trouvant donc décalé vers 2h. de l’après-midi. Ce repas sera d’ailleurs souvent assez rudimentaire et composé en fonction de ce que contient le sac à dos. L’heure de l’arrêt au gîte, dénommé en général refugio do pelegrino ou albergue do pelegrino est fonction de ce qui existe, bien sûr. Le prix pour la nuit sera toujours très raisonnable, soit librement dans un tronc soit entre 300 et 500 Pst. ( 12 à 20 F ). Au fur et à mesure de l’avancée il y en a de plus en plus fréquemment, mais sur certaines parties du Camino il ne faut pas se laisser prendre. Fin d’étape, donc, entre 3 et 5 h. mais pas plus tard. A l’arrivée, activités qui deviendront vite classiques :
Faire des achats de nourriture pour le lendemain et éventuellement pour le dîner selon que celui-çi sera possible à l’auberge ou sera pris (cas le plus fréquent) dans un bar ou restaurant servant le «menu do pelegrino», toujours complet, copieux et d’un prix tout à fait raisonnable (entre 900 et 1000 Pst. soit 35 à 40 FRF).
Jour : 24
Etape:
Estella Los Arcos Torres del Rio
Km: 28
Je continue à
découvrir avec ravissement la Navarre. Les souvenirs romains y
sont nombreux, mais c’est surtout l’art religieux qui sera
offert à profusion au pèlerin tout le long du Chemin. Eglises
romanes surtout, avec leur clocher bien particulier. A la
sortie d’Estella la «fontaine de vin» dont on parle
beaucoup est en fait un piège à touriste car on ne peut qu’y
boire (mais pas remplir sa gourde) et ce n’est ouvert que
quelques heures par jour. Sur ce parcours, je ferai
connaissance avec un pèlerin espagnol très sympathique,
peintre et parlant couramment français. Ayant le verbe facile,
il me racontera beaucoup d’histoires et en particulier
l’histoire de Navarette, que je visiterai avec lui le
lendemain soir. Encore en forme pour marcher à Los
Arcos, je continue jusqu’à Torres del Rio, où
j’avais vu qu’il s’y était ouvert une auberge récemment.
C’était aussi l’occasion de faire étape dans un tout petit
village. Inconvénient : aucun magasin d’alimentation et prix
anormalement élevés à la fois du gîte et du dîner. Ce sera
d’ailleurs la seule exception de tout le Camino aux
conditions remarquablement honnêtes rencontrées partout. Par
contre l’église du Santo Sepulcro
, ouverte exceptionnellement pour un enterrement, est la réplique du Saint Sépulcre de Jérusalem, et il n’y en a que deux en Espagne. Construite en pur style roman, son corps central est octogonal et la grande coupole avec ses nervures en étoiles à huit pointes est surmontée d’une lanterne, celles-ci étant fort utiles aux pèlerins car elles leur servaient de phares. L’origine en est malheureusement obscure, aucun document officiel n’existant.
Jour : 25
Etape:
Torres del Rio Viana Navarrete
Km: 32
La principauté
de Viana était un titre honorifique conféré à l'héritier du
trône de Navarre. Place forte crée par Sanche VII, il ne reste
pas grand chose de ses fortifications. L’ étape Viana à
Navarette comporte la traversée de Logroño première grande
ville de mon parcours, moins importante cependant que les
suivantes, Burgos puis Léon. Entrée dans la ville par le
Puente de Piedra, pour traverser l’Ebre, ce pont fut édifié à
la fin du siècle dernier, mais remplaça en fait un pont
médiéval construit à la fin du XI° siècle par Alphonse VI, roi
qui oeuvra beaucoup pour le Camino. D’une grande importance
stratégique, ce roi voulait ainsi créer une agglomération qui
n’existait pas à cette époque. Le tracé du Camino conduit
ensuite à la visite des vieux quartiers très pittoresques,
avec une profusion d’églises. La sortie, comme souvent, est
longue et sans intérêt. En plus, mal indiquée, je passerai un
moment à me débarrasser d’une entrée d’autoroute où je n’ai,
bien sûr, rien à faire. Un Espagnol en camionnette comprendra
mon désarroi, s’arrêtera sans que je ne fasse de stop et me
conduira au bon départ du Camino que j’avais manqué.
Je rencontrerai plusieurs fois le long du Camino
cette aide spontanée de la part de nos amis espagnols. Le
Camino
pendant un long moment traverse un immense et splendide parc avec un lac artificiel, aménagé plus pour des promeneurs du dimanche que pour des pèlerins : revêtement souple et agréable pour la marche, régulièrement des bancs invitent à s’arrêter. C’est la première fois que j’ai dépassé 30 km dans ma journée, et les derniers kilomètres seront durs.
Après
Logroño, nous ne sommes plus dans la province de Navarre, mais
dans celle de la Rioja. Hérésie des modifications de
frontières, Navarette était la capitale des rois de Navarre,
qui en abrite encore les tombeaux. Superbe village médiéval,
il y aura le soir un superbe orage peu après mon arrivée. Je
ferai connaissance à l’auberge avec un petit groupe de trois
jeunes Brésiliens «cariocas» avec qui je dînerai et qui me
feront découvrir une délicieuse recette de nouilles à l’ail
que je transmettrai à mon épouse à mon retour. Celui avec qui
je sympathiserai le plus se nomme Alexandre et il me dira très
vite : «como seria bom se chegar juntos a Compostela !». Nous
nous retrouverons plusieurs fois sur le Camino
et le premier pélerin connu que je rencontrerai à mon arrivée à St. Jacques sera Alexandre. Quelle joie ! Car réussir cette rencontre signifie la somme de toute une série de réussites convergentes et bénies.
Jour : 26
Etape:
Navarrete Najera
Km: 14
Etape de tout repos, courte et facile d’abord pour récupérer de la veille, ensuite, cela me permet d’arriver de bonne heure à Najera et de pouvoir assister à une messe dominicale à midi. Par contre je devrai un peu tourner en rond dans un village ayant bien peu d’animation à cette heure, en attendant l’ouverture de l’auberge, à 3 heures de l’après-midi seulement.
Jour : 27
Etape:
Najera Santo Domingo de la Calzada Recedilla Recedilla del Camino
Km: 31
Comme cela arrive pratiquement tous les matins, je pars en suivant à quelques dizaines de mètres un couple de pèlerins, deux jeunes rencontrés la veille à l’auberge, et nous marchons en gardant cette distance pendant un moment. Tout à coup ils s’arrêtent, m’attendent et me disent que nous avons perdu le Camino ce qui peut arriver malgré l’excellence de la signalisation, les traditionnelles flèches jaunes. Ayant un village en vue, il n’y a plus qu’à s’y rendre, ce que nous faisons ensemble, et là un de ses habitants nous explique très gentiment comment rectifier notre direction, ce qui sera d’autant plus facile qu’il n’y a pas de problème linguistique, ces charmants petits jeunes étant espagnols. Nous continuons à marcher ensemble, sympathisons tellement que nous deviendrons inséparables, prenant tous nos repas ensemble, souvent dans la même assiette, nos lits voisins dans les gîtes. Ils se nomment Javier et Noelia, avaient respectivement 23 et 27 ans et habitent l’Ile de Minorque. Je suivrai leur cadence de marche, ils me diront plus tard que c’est moi qui les entraînais ! Car très vite ils m’expliqueront qu’ils ont un impératif de date, donc plus question de faire des étapes de 15 km. Je m’habituerai tellement à ce rythme que je ne pourrai plus «traîner» jusqu’à l’arrivée. Ils doivent arriver à Sahagun le dimanche suivant.
Ensemble nous visiterons Santo Domingo de la Calzada, où nous sommes arrivés vers midi. Autre merveille du Chemin, où la tradition place le miracle du pendu dépendu, sans doute le miracle le plus célèbre de la longue histoire des pèlerinages à St. Jacques. La cathédrale de Santo Domingo présente de façon très vivante ce récit, qui sans être totalement certain, est le plus probable, d’autres traditions narrant le récit de façon légèrement différente, voire à d’autres endroits.
Voici le récit donné à la cathédrale de Santo Domingo :
Parmi les nombreux
pèlerins de Compostelle qui font halte dans cette ville pour
vénérer les reliques de Santo Domingo de la Calzada, la
tradition raconte qu'un couple arriva là avec leur fils de
dix-huit ans, appelé Hogonell, originaire de Ad Sanctos
(Xanten dans le diocèse de Munster, mais jusqu'en 1812 de
l'Archevêché de Cologne). La fille de l'auberge où ils
logèrent s'éprit du jeune Hugonell mais, devant l'indifférence
du jeune homme, elle décida de se venger. Elle mit une coupe
en argent dans les bagages du jeune homme et quand les
pèlerins reprirent leur chemin, la jeune fille dénonça le vol
au Corrégidor. Les lois de cette époque (législation
d’Alfonso X le Sage) punissaient de la peine de mort le délit
du larcin et une fois arrêté et jugé, l'innocent pèlerin fut
pendu. En repartant vers Saint Jaques de Compostelle, (à leur
retour, selon d’autres récits) ses parents vinrent voir leur
fils pendu et, quand ils arrivèrent sur le lieu où il se
trouvait, ils entendirent la voix de leur fils qui leur
annonçait que Santo Domingo de la Calzada lui avait conservé
la vie. Ils s'adressèrent immédiatement au Corregîdor
de la ville et lui racontèrent le prodige. Le
Corregidor
incrédule leur répondit que « leur fils était aussi vivant que le coq et la poule rôtis qu'il s'apprêtait à manger ». En cet instant précis, le coq et la poule sautant du plat se mirent à chanter.
Et depuis lors, on répète les fameux vers suivants:
SANTO DOMINGO DE LA
CALZADA
QUI FIT CHANTER LA POULE
APRES AVOIR ETE ROTIE

En souvenir de
cet événement, un coq et une poule vivants et toujours de
couleur blanche sont maintenus toute l'année dans la
Cathédrale. Ils proviennent de dons et ils sont remplacés
chaque mois. Face à cette niche qui fut construite vers 1445,
et en dessous de la fenêtre, on conserve un morceau de bois de
la potence du pèlerin. Dans les archives de la Cathédrale, on
conserve un document de 1350 avec les indulgences accordées
par 180 évêques « à la Cathédrale de la Calzada où il y a un
coq et une poule blancs » , à ceux qui dévotement font le tour
tombeau du Saint, en récitant le Notre Père le Je
vous salue Marie et le Gloria
.
Celui qui devait
devenir Santo Domingo naquit à Viloria de
Rioja en 1019, sous le règne de Sancho el Mayor de
Navarra. Dès qu'il découvrit se vocation, il chercha à
rentrer dans les célèbres monastères de Valvanera et San
Mîllan de la Cogolla. N'ayant pas réussi, il décida de vivre
en ermite et de se consacrer à la prière et à la pénitence
dans un bosquet désert qui occupait ce qui aujourd'hui est la
ville, en construisant un ermitage en l'honneur de Notre
Seigneur. En voyant les difficultés que rencontraient les
pèlerins qui, suivant l'ancienne voie romaine entre l'Italie
et Astorga, allaient de toute l'Europe visiter le tombeau de
Saint laques de Compostelle, il construisit un chemin, un pont
et surtout un hôpital pour les pèlerins, qui tout de suite,
attira tous les nombreux voyageurs au point de constituer très
vite un petit bourg auquel on donna, après sa mort, le nom de
son fondateur, Santo Domingo de la Calzada
. Vers 1098, le roi Alphonse VI fit don à Santo Domingo d'un lieu pour édifier l'église, ce dernier aida le roi lui-même à placer la première pierre. Lorsqu'il sentit venir la fin de sa vie, Santo Domingo prépara son humble tombeau à côté de l'église et de la chaussée qui donna le nom à la ville actuelle. Il mourut le 12 mai 1109.
Nous continuerons notre marche jusqu’à Recedilla, où se trouve une petite auberge très accueillante où nous serons pratiquement seuls pour la soirée et la nuit. J’y rencontrerai un pèlerin très particulier : français pied noir, habitant Revel, dans le Tarn, il a subi plusieurs opérations graves aux pieds, ne peut marcher que très lentement et au maximum 6 à 8 km par jour. Ceux qui prétendent qu’il faut être un marcheur chevronné pour effectuer ce pèlerinage !! Il se fait aider, lorsqu’il ne peut plus marcher, par des voitures de rencontre. Je le rencontrerai plusieurs fois jusqu’à Burgos.
Jour : 28
Etape:
Recedilla Belorado San Juan de Ortega
Km: 35
Longue étape
mais le décor du Chemin est splendide. A partir de Belorado,
nous changeons encore de province et entrons dans celle de
Burgos. Nous avons quitté les immenses plaines agricoles de la
Navarre et nous sommes presque continuellement en forêt.
Pendant la dernière partie, après le monumento a los
caidos
(souvenir de la guerre civile, 1936), le chemin devient totalement isolé en pleine forêt. La solitude y est parfois impressionnante. A l’arrivée, on nous dira qu’il y a des loups dans cette forêt, mais qu’ils ont peur des hommes. Ouf ! Car il y a 800 ans les loups existaient déjà, mais c’étaient les pélerins qui en avaient peur ! Le sanctuaire de San Juan de Ortega est dédié exclusivement au service des pèlerins, limité à une église, un bar et un gîte, unique par la particularité qu’il a d’être entièrement géré et entretenu par le curé, qui veille jalousement sur son authenticité. Il est de fait très différent des gîtes passés et futurs. J’aurais pu assister à la messe mais je me suis effondré et j’ai dormi bien au delà de l’heure de l’Office religieux. San Juan de Ortega était contemporain de Santo Domingo de la Calzada. Ordonné prêtre à son retour d’un pèlerinage à Jérusalem, il oeuvra comme lui en construisant églises, hôpitaux, chaussées et ponts pour faciliter le voyage des pèlerins. Il fonda une communauté monacale sous la règle de St. Augustin . Ce lieu n’est vraiment pas commun.
Jour : 29
Etape:
San Juan de Ortega Burgos
Km:
Avant de partir le matin, le curé prépare et sert personnellement aux pèlerins avant leur départ un bol de café au lait, attention extrêmement rare sur le Chemin. Nous partons vers Burgos avec ... un beau berger allemand qui refusera de nous quitter. Apparemment c’est une chienne qui a perdu ses petits et cherche de l’affection. J’imaginais qu’elle nous quitterait au bout de quelques kilomètres, mais pas du tout. C’était apparemment sa première promenade dans un pays où les voitures existaient et lorsqu’avant Burgos le Chemin quitte la route de terre et oblige à suivre une route goudronnée, «notre» chien marche tranquillement au milieu de la route et les véhicules doivent se débrouiller pour l’éviter. Les Espagnols sont vraiment patients ! A l’entrée de l'agglomération, des travaux masquent totalement les traditionnelles flèches jaunes. Nous traversons une voie ferrée et un couple âgé rencontré devant chez lui nous indique la direction à suivre. Par chance (comme si ce terme existait sur la route vers St. Jacques !) ce couple a un de leurs enfants qui travaille dans l’équivalent d’un refuge de la SPA. Comme «notre» chien a un collier avec un numéro matricule, son propriétaire sera facilement identifié et prévenu. Il nous reste à déposer «notre» chien au refuge qui se trouve justement sur notre parcours. Sinon, qu’aurions-nous fait de notre encombrant pot de colle ?
Par contre, nos hôtes de rencontre sont assez surpris que nous refusions de prendre l’autobus pour aller dans le centre de Burgos. Les faubourgs à traverser sont en effet très étendus, et vraiment sans intérêt. Quatre heures de marche, nous dit-on. Au refuge, qui se trouve diamétralement opposé à notre position actuelle, d’autres pèlerins nous avoueront avoir triché et pris l’autobus. Mais avec mes amis, nous sommes décidés à respecter la règle.
Dans le centre, nous trouverons un restaurant pour déjeuner, un pique-nique en pleine ville n’étant ni agréable ni commode. C’est vrai qu’il faudra bien marcher les quatre heures annoncées pour arriver dans un quartier plus touristique, et trouver notamment la célèbre cathédrale. Malheureusement en travaux, elle est fermée. Nous n’arriverons au gîte qu’en fin d’après midi, situé dans un grand parc et très bien aménagé. Une visite guidée de la chartreuse de Miraflores et de la cathédrale est proposée aux pèlerins en fin d’après-midi. Mais j’abandonnerai assez vite la visite et reviendrai au gîte pour me reposer et dormir.
A la grande époque des pèlerinages, Burgos était largement équipée en capacités d’accueil des pèlerins : nombreux monastères, hôpitaux. Actuellement encore Burgos propose un nombre incalculable de monuments dignes d’être visités.
Jour : 30
Etape:
Burgos Hontanas
Km: 29
Comme la veille, un petit déjeuner est prévu avant le départ. Il est payant, mais c’est très raisonnable. Va bientôt commencer la traversée du désert. La Meseta m’a été décrite par le peintre espagnol rencontré avant Navarra avec appréhension et crainte. Des «meseta» il y en a en fait plusieurs en Espagne. Ce terme s’applique à des hauts plateaux désertiques d’origine hercynienne et celui que nous allons traverser est celui de la Vieille Castille. Il faudra de fait surveiller plus que jusqu’à maintenant les provisions et l’eau car on pourra rester une journée entière sans fuente ni traverser aucun village avec possibilité de ravitaillement. Par contre la paysage sera souvent d’une beauté sauvage superbe. Après Burgos, nous traversons quelques villages puis commence la Meseta : sur près de 30 km qu’il nous reste à parcourir jusqu’à Castrojeriz, 2 villages seulement. Nous ferons étape au second, Hontanas, car il est tard et la fatigue commence à se faire sentir. Le refuge est très correct.
Octobre
Jour : 1
Etape:
Hontanas Castrojeriz Fromista
Km: 34
Peu après Castrojeriz, nous quitterons la province de Burgos pour celle de Palencia. Chaque province espagnole que traverse le chemin reçoit une manne du Conseil de l’Europe pour l’entretien et la mise en valeur du Chemin de St. Jacques, rappelons-le, classé premier itinéraire culturel d’ Europe. Ce budget, chaque province le gère à sa façon, en l’investissant soit dans l’amélioration de la chaussée, soit dans l’amélioration des refuges (certains sont vraiment luxueux), etc... La Province de Palencia est de celles qui investissent dans la chaussée : certaines parties sont remarquables. A Fromista, refuge assez minable, mais cela fait partie des menus sacrifices. Par contre l’idée du réveil en musique n’est pas désagréable.
Jour : 2
Etape:
Fromista Carrion de los Condes Calzadilla de la Cueza
Km: 35
Avant-dernière
étape avec mes amis pèlerins qui doivent s’arrêter demain à
Sahagun, rejoindre Léon en autobus, y coucher et prendre un
avion le matin pour rejoindre leur île. Ils reprendront le
Camino
à Sahagun le 31 octobre. Nous continuons après Carrion de los Condes car ils veulent être à Sahagun dimanche en tout début d’après-midi. D’autant que la distance qui sépare Carrion de Sahagun est difficile à parcourir en une seule journée. Le chemin de Carrion à Calzadilla est un nouveau morceau de désert assez extraordinaire. Quatre kilomètres après Carrion le Chemin reprend une splendide voie romaine, la Via Atlantica, en parfait état et qui sur près de 14 km est tracée au cordeau, sans traverser le moindre hameau. Là encore, il est agréable de ne pas être seul. Calzadilla est un ravissant petit village.
Jour : 3
Etape:
Calzadilla Sahagun
Km: 22
Objectif atteint : nous arrivons à Sahagun pour déjeuner. Juste le temps pour moi de déposer mes affaires à l’auberge municipale, magnifique du reste, et très spacieuse, et nous cherchons un restaurant, recherche moins facile un dimanche que les autres jours, car beaucoup sont fermés. J’invite mes amis pour ce dernier repas en commun. Un flou artistique autour des horaires fait que se croyant très en avance pour prendre le bus (qui finalement n’existait pas) il faut courir jusqu’à la gare où le train pour Léon partait incessamment. Mais ledit train avait un retard indéfini. Nous nous sommes donc quittés après de chaudes embrassades. J’ignore combien de temps ils ont attendu ...
Me voici
tristement tout seul. Je passerai le reste de l’après-midi à
visiter Sahagun, mais le moral n’y est plus, et les superbes
églises romanes en pierres sont remplacées par des
constructions en briques beaucoup moins esthétiques, pour mon
goût du moins. La ville de Sahagun fut probablement construite
sur le site de la ville romaine de Camala, de
l’Itinerarium Antonini
. On trouve dès le IX° siècle un monastère. Alphonse VI, élevé et réfugié ensuite dans cette abbaye fit de Sahagun le Cluny espagnol. Il encouragea la réforme de l’église en collaboration avec l’abbaye bourguignonne de Cluny, sa femme Constance étant elle-même bourguignonne. J’aurai la messe dominicale en fin d'après-midi.
Jour : 4
Etape:
Sahagun El Burgo Raneros Mansilla de las Mulas
Km: 36
A la sortie de la ville on traverse la rivière de la Cea par le Puente de Canto, superbe pont en pierre construit à la fin du XI° siècle et qui débouche sur une peupleraie touffue qui recouvre le célèbre pré des lances de Charlemagne où St. Jacques voulut montrer à l’empereur qu’il le soutiendrait dans cette bataille difficile. Les soldats de l’armée trouvèrent leurs lances fleuries à leur réveil le matin, miracle qui fut renouvelé un peu plus tard à Saintes.
Relisons le
Codex Calixtinus
:
Alors, la
nuit avant la bataille, quelques chrétiens qui préparaient
consciencieusement leurs armes plantèrent leurs lances dans la
terre, debout, devant le campement, c’est-à-dire dans les prés
qui sont juste à côté de la rivière [la Cea]. Au lever du
jour, ceux qui dans l’imminente bataille devaient recevoir la
palme du martyre pour leur foi en Dieu, trouvèrent les hampes
de leurs lances ornées d’écorces et de branches
feuillues
.
Pas moins de 40 000 chrétiens moururent dans cette bataille, dont le père de Roland. Même Charlemagne eut son cheval tué sous lui.
Depuis Sahagun nous sommes dans la province de Léon, d’où nous ne sommes plus très loin de la capitale. Les deux étapes sont assez courtes et l'entraînement que j’ai maintenant me permet de parcourir la somme des deux dans la journée. A ma grande joie, je retrouve au refuge de Mansilla mes amis brésiliens. Ils veulent, le lendemain, rester toute la journée à Léon, pour faire des achats de vêtements chauds en prévision des étapes en haute altitude qui ne sont plus très loin devant nous. Une jeune espagnole met son expérience sur le traitement des ampoules au service des pieds des pèlerins. Mais quand je vois sa technique et les souffrances qu’endurent ses victimes, je suis très heureux d’avoir des pieds en parfait état.
Jour : 5
Etape:
Mansilla Léon Villadangos del Paramo
Km: 45
Cette longue
étape sera la plus longue réalisée, et bien involontairement.
J’avais prévu de traverser tranquillement Léon, pour mon goût
la plus belle ville du Camino et de passer la nuit peu après
la sortie de Léon, à Virgem del Camino. C’était sans
compter sur la foule due à la fête qui se déroulait dans ce
village, en rendant l’accès difficile et d’y passer la nuit
impossible. Je n’ai plus qu’à continuer en espérant trouver un
gîte avant Villadangos encore loin, d’autant que le jour
n’allait pas tarder à décliner. Mais Valverde de la
Virgem
est un hameau de quelques maisons, rien avant Villadangos. Il ne reste qu’à accélérer et à «perdre le chemin». Lorsque je le réalise, je suis dans une lande sans aucune indication, zébrée de sentiers tous azimuts, et tout seul. Heureusement que le soleil était encore là, direction plein Ouest ... Simple question de patience, au bout d’un temps qui m’a paru une éternité j’entends enfin un bruit de tracteur. Ouf ! J’arrive dans un village dont je ne connaîtrai jamais le nom, et à force de demander mon chemin j’arriverai après de multiples erreurs au refuge de Villadangos à la nuit tombante. J’aurai marché 11 heures depuis le matin. Le ciel était de plus en plus menaçant, mais m’épargnera.
Jour : 6
Etape:
Villadangos Astorga
Km: 26
Etape
«reposante» pour compenser celle de la veille, l’arrivée
relativement tôt à Astorga me permettra de visiter cette
remarquable Asturica Augusta
, ville déjà importante à l’époque romaine, à la croisée de deux grands axes. St. Jacques y aurait fondé lui-même un évêché, l'existence d’un évêque déjà au III° siècle est certaine. La ville regorge de richesses architecturales et religieuses de toutes sortes. Conjonction à peu près unique pendant mon Chemin, j’y déjeunerai et y dînerai.
Jour : 7
Etape:
Astorga Rabanal del Camino El Acebo
Km: 37
La particularité
de Rabanal del Camino qui n’est qu’un tout petit village, est
d’abriter une Auberge des pèlerins construite et entretenue
par la Confraternity of Saint James d’Angleterre.
L’ennui c’est que l’étape est assez courte, que j’arrive à
Rabanal peu après midi et qu’il y a plus de deux heures à
attendre avant l’ouverture de l’auberge. C’est là que je ferai
connaissance avec un Français accompagné d’une charmante dame
que je croirai à tort son épouse, la soixantaine, baroudeur,
ancien commando de la marine, qui me fera monter en régime
pendant les deux jours suivants. Il me fera des observations
pertinentes sur ma façon de marcher et progresser
sensiblement. Il m’invite à continuer jusqu’au refuge de
Manjàrin, signalé sur le guide comme particulier... Depuis
Astorga (alt. 870 m), l’altitude s’est élevée de près de 300
m. L’étape de Rabanal à Pontferrada est longue et le dénivelé
important dans la première partie, il est donc judicieux de
continuer à marcher 2 ou 3 heures. A Rabanal commence une
longue montée qui aboutira au col de Foncebadon, matérialisé
par l’ immense Cruz de Hierro
, à 1500 mètres d’altitude. Auparavant, le chemin traverse le village de Foncebadon, totalement en ruines, mais qui était un important lieu de passage pour les pèlerins, avec hôpital et auberge. La montée au col avait mauvaise réputation. Le paysage est superbe, certains pèlerins parlaient les jours précédents de froid et de la nécessité de se munir de vêtements chauds. Je ferai cette montée sous un soleil superbe, en T shirt seulement. C’est vrai que le refuge où nous envisagions de passer la nuit est d’une saleté répugnante et ne possède aucune installation pour passer une nuit, même rudimentaire. Nous y rencontrons un couple de Suisses originaires de l’Oberland bernois, tout heureux de rencontrer quelqu’un qui parlait allemand. Environ 70 ans, ils ne sont pas mari et femme, mais la dame, solide marcheuse manifestement, avait loué les services d’un guide de montagne en retraite pour lui porter son sac. Nous repartons donc à 5 cette fois en forçant l’allure car s’il n’y a pas de refuge avant Molinaseca (prochain refuge indiqué par le guide), nous n’y arriverons que vers 8 heures du soir. C’est à l’occasion de cette marche que je prendrai des leçons de «bonne marche», j’admire vu de dos le rythme du guide, sa souplesse féline, son très léger déhanchement à chaque pas, c’est vrai qu’il avance, même avec un sac à dos bien garni, sans effort apparent. Heureusement pour nous le splendide village de El Acebo nous propose le choix entre deux auberges - en fait des bars qui aménagent une ou deux grandes pièces libres en dortoirs - relativement récentes non indiquées par notre guide. Accueil agréable, dîner et petit déjeuner nous sont proposés.
Jour : 8
Etape:
El acebo Ponferrada Villafranca del Bierzo
Km: 38
Je vise actuellement d’arriver le dimanche matin au Cebreiro, tout en retrouvant Claude et Françoise soit à Ruitelan soit au Cebreiro, où je leur ai donné rendez-vous. Il commence à faire frisquet le matin pendant la première heure de marche et le soir. J’apprécie de plus en plus le gros pull dont j’avais chargé mon sac depuis Bayonne. Le soleil est toujours fidèle. Chemin agréable et sans problème jusqu’à Ponferrada, où, comme toujours à la sortie des villes, retrouver le chemin n’est pas évident. Ce sont finalement des pèlerins belges ayant un plan précis du lieu qui me dépanneront. Le chemin devient ennuyeux, bien terne après les splendides paysages alpins de la veille. Je décide de m’arrêter pour la nuit à Cacabelos, mais juste avant d’arriver au gîte, mon «commando» attendait. Il en avait assez de marcher tout seul, et en me retrouvant il retrouve son énergie. Plus question d’arrêter avant Villafranca. Avant cette ville nous retrouverons un paysage beaucoup plus accueillant, des vignes à perte de vue, nous arrivons assez tard mais il y a encore quelques places. Splendide petite ville accrochée à flan de montagne, Villafranca offre une profusion d’églises toutes plus belles les unes que les autres. Celle de San Francisco souhaite rappeler le passage de St. François d’Assise pendant son pèlerinage à Compostelle. Seul point noir, pas moyen de trouver où dîner et la salle à manger de l’auberge est peuplée de groupes particulièrement bruyants.
Jour : 9
Etape:
Villafranca del Bierzo Ruitelàn
Km: 19
L’ étape
jusqu’au Cebreiro a la réputation d’être la plus dure du
Camino et il est conseillé de la couper en deux. Je
la couperai en deux car je suis en avance pour le rendez-vous
avec les cousins. Le paysage sera superbe jusqu’au Cebreiro,
nous marchons au milieu d’une splendide vallée où le
gouvernement espagnol construit une autoroute à une hauteur
impressionnante. Je marche ce matin-là avec deux espagnols
très sympathiques. Le dénivelé reste encore très raisonnable,
mais la montée au Cebreiro - il faudrait dire l’ascension -
est un dénivelé de 700 mètres sur 10 km. Je m’arrête donc à
Ruitelàn là où commence la montée et où vient de s’ouvrir une
petite auberge qui semble sympathique. C’est petit mais très
accueillant, j’en profite, comme il est tôt et le soleil
généreux, pour mettre de l’ordre dans mes affaires, laver le
retard. Après le repos habituel je vais marcher et, après
quelques centaines de mètres une voiture bien connue en sens
inverse... ce sont Claude et Françoise qui sont partis plus
tôt que prévu. Le reste de l’après-midi se passera à leur
installation. L’auberge propose le dîner et le petit déjeuner.
Ce sera le meilleur dîner du Camino
avec notamment une soupe à l’oignon dont nous garderons longtemps le souvenir.
Jour : 10
Etape:
Ruitelàn O Cebreiro Biduedo
Km: 23
Françoise a
choisi de conduire la voiture et la première étape avec Claude
le met tout de suite au parfum. L’arrivée au Cebreiro est
unique. Nous sommes seuls, alt. 1300 mètres, le silence total.
Je vais tout de suite visiter ce que j’attendais depuis
longtemps. Mille ans après le miracle qui s’est produit à
Luciano, en Italie, le même miracle s’est produit ici, à une
date incertaine mais située au début du XIV° siècle.
L’officiant, qui célébrait la messe sans grande conviction,
venait de consacrer le pain et le vin, quand un paysan qui
avait longtemps marché dans la tempête de neige pour assister
à la messe, entre dans l’église. Le prêtre se dit en lui-même
que ce paysan avait affronté la tempête pour voir seulement un
peu de pain et de vin. Aussitôt le pain se transforma en chair
et le vin en sang. Le religieux et le paysan seront enterrés
côte à côte dans l’église Santa Maria qui abrite depuis lors
ce signe visible de la réalité de la transsubstantiation, le
sang ayant été placé dans deux superbes vases en argent,
offerts par la reine Isabelle plus tard. Le silence est
brutalement rompu par l’arrivée d’un autobus, des
pseudo-pèlerins basques, bruyants, et qui en me voyant diront
tout fort «oh, un pèlerin», comme si j’étais un martien sorti
de sa soucoupe volante. L'intérêt sera que leur accompagnateur
célébrera une messe tout de suite, et en français, m’évitant
ainsi une heure d’attente pour avoir la messe prévue en fin de
matinée. A partir de là, nous quittons la province de Léon, et
entrons dans celle de Lugo. En plus le Camino
est balisé régulièrement de bornes kilométriques. Il reste 152 km. L’étape officielle du Cebreiro jusqu’à Saria est trop longue pour être faite dans la journée, d’autant que la journée est déjà bien entamée. Nous nous arrêterons dans un genre de gîte rural, moyen, où nous sommes seuls.
Jour : 11
Etape:
Biduedo Sarria
Km: 25
Nous terminerons la journée 800 mètres plus bas. Finie la belle montagne, le temps est encore agréable. Nous allons cheminer jusqu’à la fin avec un Espagnol de Barcelone, accompagné de deux de ses enfants, un garçon blond comme les blés (rare en Espagne) de 9 ans et sa fille aînée très typée espagnole de 11 ans, et déjà très belle fille. Ils portent vaillement chacun leur sac pendant cette semaine de marche (ils sont partis de Villafranca) et marchent comme des grands. Comme leur père parle assez bien français, nous aurons plusieurs fois l’occasion de bavarder. Une fois, il m’expliquera que sa femme est restée avec le dernier qui a 4 ans, mais dès qu’il sera en âge de marcher, ils reprendront tous ensemble le Camino. J’ai offert ma marche ce jour-là pour nos deux petites voisines de Thann, Laetitia et Claudia. Le soir, à Sarria, je vais visiter l’église toute proche de l’auberge, où m’attendent deux surprises. La première, il y a une messe le soir à laquelle je pourrai assister. La seconde, l’église était dédicacée à Sainte Marina. C’était la première fois de ma vie que je rencontrais cette dédicace, et St. Jacques me rappelait ainsi avec beaucoup d’humour que Claudia avait une petite soeur, prénommée Marina, et que j’avais oubliée dans mes intentions. Mon oubli est de ce fait réparé...
Très belle auberge, confortable et bien aménagée.
Jour : 12
Etape:
Sarria Portomarin Gonzar
Km: 29
Jusqu’à
Compostelle, maintenant, le Camino va traverser presque sans
discontinuer des villages, des hameaux, parfois de simples
fermes. Les beaux paysages sont terminés, la grisaille
commence à s’installer et nous ne reverrons plus le soleil.
Nous arriverons à Portomarin sous le crachin, cette ville est
très curieuse. La vielle ville a été recouverte par un lac
artificiel autour de 1960, puis reconstruite à côté, sur une
hauteur. Mais lorsque le niveau du lac est bas, ce qui était
le cas lors de notre passage, on peut admirer le vieux
village, avec son pont médiéval et ses vestiges parfaitement
conservés. Car Portomarin était déjà à l’époque romaine un
centre important. Après une période mouvementée au XI° siècle
(querelles entre époux royaux !) Villa Portumarini
reprit sa place sur la route de St. Jacques, construction de couvents par les Ordres militaires et d’un hôpital.
Nous arriverons à Gonzar en fin d’après-midi, et nous arrêterons juste avant une solide averse. Auberge correcte, mais tout petit village où le seul bar existant n’a même rien à offrir pour dîner.
Jour : 13
Etape:
Gonzar Palas de Rei Melide
Km: 32
Nous nous
enfonçons de plus en plus dans la grisaille, les chemins
boueux, le crachin. Ajouté au paysage qui nous entoure, on se
croit vraiment dans la Bretagne profonde. Nouveauté
architecturale, les silos à grain galicien. C’est vraiment
très particulier et il y en a pratiquement dans chaque ferme.
On sent aussi qu’on approche de St. Jacques, car dans les
semaines passées il a dû passer par là une foule souvent peu
respectueuse de l’environnement et le Camino étant
loin de la route carrossable, les détritus de toutes sortes
s’accumulent, boîtes de boissons en tout genre en particulier.
A côté du Camino dans les provinces précédentes,
toujours impeccable, propre, quelle différence ! Un peu après
Palas de Rei
, nouveau et dernier changement de province, nous passons dans la Coruña. On raconte que sur cette dernière partie du Camino, nombreuses étaient les servantes dans les hôtels et même les prostituées qui cherchaient à séduire les pèlerins. Ceux-ci fatigués et peut-être «en manque» étaient des proies faciles. Malgré ce nom à consonance royale, l’histoire ne sait pratiquement rien sur Palas de Rei qui est d’une grande pauvreté architecturale. On a retrouvé de nombreux camps celtes aux environs, l’emplacement était proche de la voie romaine reliant Lugo à Astorga. Tout le reste n’est qu’hypothèses.
Splendide auberge à
Melide, immense, bien aménagée, avec
notamment un équipement très complet pour faire la lessive et
la sécher, ce qui commence à devenir nécessaire puisque les
conditions climatiques depuis 2-3 jours rendent le séchage aux
étapes bien problématique. Entorse aux classique menu do
pelegrino
, nous dînons d’un plat de poulpes, délicieuse spécialité du coin.
Jour : 14
Etape:
Melide Arzua Sta.Irene
Km: 30
Restait à calculer au mieux le reste du parcours pour passer la dernière nuit à Monte del Gozo et arriver ainsi à St. Jacques le matin, comme cela m’avait été recommandé. Nous nous arrêterons à Santa Irene, les gîtes et auberges sont nombreux dans cette partie. Petite auberge presque familiale, avec des chambre de 6 à 8 lits seulement, impeccable. Nous passerons cette presque dernière nuit avec nos amis espagnols (le père avec ses deux enfants) et dînerons ensemble. Occasion de faire plus ample connaissance.
Jour : 15
Etape:
Sta.Irene Monte del Gozo
Km: 19
Dernière étape
qui sera une belle promenade sous un ciel qui sans être au
beau fixe est plus accueillant. La paysage a également bien
changé, nous sommes souvent dans de belles forêts. Les
constructions récemment édifiées au Monte del Gozo, Mons
Gaudii, en français Montjoie, ont malheureusement masqué
cette arrivée à St. Jacques de Compostelle, que les pèlerins
découvraient ainsi avec ravissement. Une tradition bien
établie voulait que le premier jacquet arrivé au sommet du
Monte del Gozo, après avoir crié «Montjoie» et lancé son
chapeau en l’air, soit déclaré «roi du pélerinage». Ses
descendants étaient étaient autorisés à prendre le nom de
Leroy. L’origine des «Leroy» en France ou des «König» en
Allemagne n’a en général pas d’autre origine. Construit lors
de la visite du pape Jean Paul II en 1990 pour les journées
mondiales de la jeunesse, cet immense centre d’hébergement
assure aux pèlerins un gîte pour la nuit, quelle que soit leur
affluence. C’est de fait un hébergement unique en son genre
sur le Camino
: quantité de bâtiments (10,15,20 ... je n’ai pas compté, identiques, chacun comportant 15 ou 20 chambres avec une dizaine de lits, sanitaires impeccables. Complété en période de forte affluence, l’été, par un immense pré où l’armée installe des tentes. Sur cet immense campus plusieurs restaurants, boutiques. Rien à voir avec les auberges antérieures.
Jour : 16
Etape:
Monte del Gozo Santiago de Compostela
Km: 5
Ce qui devrait
être le point culminant de ce pèlerinage est ... sous certains
aspects le plus décevant. Le calme paradisiaque de ces six
semaines est remplacé par une cohue bruyante, encombrante, il
faut faire 1 heure de queue pour entrer dans la cathédrale, 2
à 3 heures pour entrer par la Porte Sainte et se recueillir
devant le tombeau de l’Apôtre. Et encore sommes-nous arrivés
relativement tôt dans l’espoir de trouver une cathédrale
encore vide. Pour compléter, il pleut sans discontinuer. Je
veux quand même accomplir dès l’arrivée le traditionnel geste
de mise de sa main dans le creux tracé depuis des siècles,
dans le pilier central du Portail de la Gloire, par les
pèlerins successifs, et présenter à St. Jacques toutes les
demandes de prières recueillies soit avant mon départ, soit
pendant le pèlerinage. J’abandonne momentanément la visite de
la cathédrale et je vais au bureau qui délivre la
Compostela. Je retrouverai là enfin des vrais
pèlerins, qui sont brusquement devenus une denrée très rare et
surtout ceux avec qui j’avais sympathisé, notamment le
brésilien Alexandre, le «couple» de montagnards suisses, et un
peu plus tard mes premiers amis rencontrés le premier soir à
Navarrenx, Ivan et Sophie. Une messe des pèlerins est célébrée
à 12h.30. Eglise bondée, j’ai l’impression d’être le seul vrai
pèlerin. Superbe messe très solennelle, célébrée par l'évêque
de Santiago en personne qui, sachant que de nombreuses
nationalités étaient présentes prononce tellement bien et
distinctement que je comprends même son homélie. Il parlera du
mariage, du respect de la vie, discours assez exceptionnel. A
la fin nous avons droit au spectaculaire coup d'encensoir avec
le Botafumeiro
, qu’il faut huit hommes pour actionner et balaye dans son gigantesque demi-cercle de soixante mètres de diamètre tout le transept de la cathédrale. Son but initial était de pouvoir neutraliser un peu l’odeur qui devait être intenable, de la foule des pèlerins rassemblés et qui ne s’étaient pas lavés pendant des semaines ou des mois. Nous irons bivouaquer au Petit Séminaire de Santiago, immense, qui accepte non seulement les pèlerins mais tous les voyageurs qui se présentent. L’après-midi, visite de Santiago, très riche en monuments de toute sortes, achat de cartes postales. Nous pouvons visiter tranquillement la cathédrale, qui est une merveille d’architecture, notamment le célèbre Portail de la Gloire, dû à Maitre Mathieu, et qui est un pur joyau de l’art roman, à l’exception du tombeau de l’Apôtre, dont l’approche nécessite encore une attente interminable. C’est grâce, le lendemain matin à l’assistance à une messe matinale (à 8h.30 il fait encore nuit noire), que nous pourrons enfin entrer par la Porte Sainte, aller nous recueillir sur le tombeau de l’Apôtre et donner l’accolade au buste de St. Jacques. Autre caractéristique de cette ville : les Espagnols, charmants tout le long du chemin, deviennent soudain désagréables et même irritables. Mais peut-on leur en vouloir, obligés qu’ils sont de supporter non pas une journée, mais toute l’année, cette foule bigarrée, bruyante et souvent désagréable. Je garde jusqu’à la dernière minute sac et bâton, mais le dimanche matin, avant de prendre la route du retour, il faut bien les abandonner : le bâton (un casier est prévu pour cela) et retirer le sac. C’est la fin d’un rêve devenu réalité. Il faut retrouver la réalité de la vie quotidienne. Ma première découverte, et je n’avais jamais fait cette observation auparavant sera celle de l’agression que représentent les grands panneaux publicitaires.
En voiture jusqu’à Bayonne, puis en train jusqu’au bercail.